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Au service de la population?
--> La concentration des médias de masse a des impacts importants et souvent néfastes
Comme premier texte dans cette rubrique, j'ai opté pour un texte que j'ai écrit au mois de décembre 2003 pour un cours d'écriture journalistique et que j'ai publié au mois de février dans le journal étudiant de mon Cégep. En espérant qu'il suscite discussions et débats, mais qu'il ne choque personne, je vous souhaite une bonne lecture. Québec, terre de colonisés. Québec, sol de matières premières. Québec, pays de hockey. Québec, paradis des empires médiatiques. Cette dernière allégation est toutefois peu reluisante. Il ne faut pas se le cacher : le Québec est l’un des pires endroits au monde en ce qui a trait à la concentration de la presse. 92 % des journaux quotidiens francophones sont possédés - entièrement ou en partie - par seulement deux mégagroupes : Quebecor Media et Gesca, qui sont respectivement une filiale de Quebecor Inc. et de Power Corporation du Canada. Seul Le Devoir est indépendant. Du côté anglophone, CanWest Global l’emporte haut la main, avec 60 % des quotidiens canadiens. Voyons tout d’abord l’étendue de ces empires. Ensuite, des entretiens avec Claude Robillard, secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, et Bruno Dubuc, rédacteur en chef du Couac, éclairciront le problème. CanWest, dont le manitou était le défunt Izzy Asper, possède The Gazette (Montréal), le National Post (Toronto), le Ottawa Citizen, le Edmonton Journal et 7 autres quotidiens dans de grands centres urbains canadiens. De plus, il a mainmise sur plus de 25 bihebdomadaires, la majorité en Colombie-Britannique. Il a aussi des acquis dans le domaine télévisuel : 19 canaux de télévision! Le plus connu de ces réseaux est Global Television, réseau public rejoignant 94 % d’anglophones au Canada. CH Montreal, réseau multilingue montréalais, est une autre possession du groupe. Les autres réseaux sont des chaînes spécialisées diversifiées et des canaux situés en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Irlande, autres endroits où le groupe transige. CanWest a racheté nombre de journaux de la part de Hollinger International, groupe dirigé par Sir Conrad Black de Crossharbour. Qui plus est, il a paraphé une entente avec Hollinger garantissant le monopole de CanWest en sol canadien. Hollinger, de son côté, possède plusieurs quotidiens d’envergure, dont le Chicago Sun-Times et The Daily Telegraph (Londres). Une histoire de corruption a dernièrement éclaboussé cette compagnie et a forcé Sir Black à démissionner. LES AMIS DU POUVOIR En matière de quotidien francophone, Gesca, filiale de Power Corporation du Canada, ne s’en laisse pas imposer. Sept quotidiens viennent remplir le portefeuille des actionnaires de la compagnie : La Presse, La Voix de l’Est (Granby), La Tribune (Sherbrooke), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), Le Droit (Ottawa), Le Soleil (Québec) et Le Quotidien (Saguenay). De plus, le site Internet de nouvelles en continue cyberpresse.ca est une propriété de Gesca. Détenue majoritairement par le ploutocrate Paul Desmarais, qui est compagnon de l’Ordre du Canada, officier de l’Ordre national du Québec, officier de l’Ordre national de la légion d’honneur et commandeur de l’Ordre de Léopold II, la multinationale Power Corp. a des actifs dans beaucoup de domaines. L’eau (Lyonnaise des Eaux, filiale de Suez), les médias (Gesca), l’assurance-vie (London Life, Great-West Lifeco Inc.) et les fonds communs de placement (Groupe Investors Inc.) sont quelques-uns des domaines dans lesquels Power Corp. a des actifs. En date du 12 février 2004, son action valait 51,84 $. Pour l’année 2002, son bénéfice net a été de 645 millions. Paul Desmarais, âgé de 76 ans, a passé le flambeau à ses deux rejetons : Paul fils et André. D’ailleurs, ce dernier est marié à la fille de Jean Chrétien. Notons que, très récemment, Paul Desmarais a pendu la crémaillère à son nouveau domaine de Sagard, dans la région de Charlevoix, construit à un coût d’environ 40 millions. Y étaient présents, entre autres personnalités, Bill Clinton, Georges Bush père, Jean Chrétien, Paul Martin et Lucien Bouchard. En terminant, voici un extrait de la mission d’entreprise de Power Corp., telle qu’elle peut être trouvée sur son site Internet (www.powercorp.com). " Power Corporation est déterminée à faire fructifier l’avoir de ses actionnaires en assurant une gestion dynamique des investissements à long terme et en assurant sa responsabilité sociale envers la collectivité. " LA CULTURE " QUEBECORIENNE " Le dernier empire, et non le moindre, est celui appartenant à Pierre Karl Péladeau. Quebecor Inc. a deux filiales et deux pôles d’activités majeurs : Quebecor World Inc. et Quebecor Media. Quebecor World Inc. est le premier imprimeur commercial du monde. La filiale compte 160 ateliers répartis dans 17 pays en Amérique du Nord, en Europe, en Amérique latine et en Asie. Quant à Quebecor Media, actif principalement au Québec et au Canada, rien ne lui échappe : câblodistribution analogique et numérique, accès Internet, télévision interactive, quotidiens, hebdomadaires, télédiffusion, livres, magazines, musique, distribution, intégrateur Web, réseau de portails et télécommunications d’affaires. Ses principales compagnies sont bien connues des Québécoises et Québécois : Vidéotron, Illico, Corporation Sun Média, TVA Inc., Groupe Archambault Inc., Distributions Sélect, Netgraphe Inc., Le SuperClub Vidéotron ltée, Jobboom, etc. Corporation Sun Media, filiale de Quebecor Media, possède des quotidiens dans 8 des 11 plus grands marchés au Canada, dont Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec. De plus, cette filiale publie 7 quotidiens régionaux et plus de 170 hebdomadaires régionaux un peu partout au Québec et au Canada. Quebecor Media est également actif dans les magazines, où il n’offre pas de compétition à ses concurrents et de la culture extrêmement pauvre à ses lecteurs. 7 Jours, Filles d’aujourd’hui, Star Inc. et Le Lundi comptent parmi ses fumisteries commerciales. Dans le domaine de l’édition, Quebecor Media est à la fine pointe, comme en font foi ses 7 maisons d’éditions, dont les Éditions Quebecor, les Éditions Libre Expression et les Éditions Internationales Alain Stanké. Ces éditeurs ont publié ou réimprimé plus de 900 titres en 2002. LES JOURNALISTES DOIVENT RÉAGIR La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) s’inquiète de cette situation. " Ce n’est pas sain que deux groupes possèdent pratiquement tous les quotidiens ", confie Claude Robillard, secrétaire général de la FPJQ, lors d’une entrevue téléphonique. Autre fait inquiétant : les journalistes ne s’en plaignent pas. Ou plutôt ne peuvent pas. " Ils ne veulent pas d’ennui, raconte le secrétaire général. S’ils se font congédier, le choix, dans la presse quotidienne, est mince. Le Devoir, seul quotidien indépendant, ne compte que 40 journalistes. La Presse et Le Journal de Montréal pratiquent deux styles de journalisme très différents. Il n’y a pas de mobilité professionnelle, pas de choix. C’est difficile. " Toutefois, M. Robillard n’est pas prêt à jeter tout le blâme sur les groupes de presse. Les journalistes ont aussi leurs responsabilités. " Les journalistes, déplore-t-il, sont souvent amenés à prendre pour l’entreprise au lieu de prendre pour le journalisme et de fournir l’information que le citoyen est en droit d’obtenir. " Plusieurs solutions sont envisageables pour la FPJQ. D’ailleurs, elle a publié un mémoire de plus de 40 pages sur la concentration des médias. Ce mémoire est disponible sur son site (www.fpjq.org). Des lois doivent être mises en place. " Il y a eu des études et des commissions ont été faites, commente-t-il, mais la volonté de la part du gouvernement n’y est pas vraiment et rien n’a changé. De plus, le gouvernement fédéral impose les lois en ce qui a trait à la presse électronique, et le provincial, les lois de la presse écrite. Ça complique grandement notre travail, puisque le pouvoir décisionnel est à deux échelons distincts. " CONTRE LE PLURALISME Ces empires sont menaçants. Ils menacent le pluralisme et la possibilité d’obtenir de l’information diversifiée et libre. CanWest Global, il n’y a pas très longtemps, a imposé un éditorial unique qui provenait des bureaux de la compagnie à Winnipeg. Cet éditorial devait absolument être diffusé dans tous les journaux du groupe. Finalement, les vives protestations des journalistes ont arrêté ce contrôle haineux de l’information. Power Corporation a des intérêts dans divers milieux et domaines. Les conflits d’intérêts sont inévitables et flagrants et la désinformation devient alors une arme très efficace et facile. D’autre part, pour être éditorialiste au compte de Power Corp., il faut être fédéraliste. André Pratte, l’actuel éditorialiste en chef à La Presse, l’a avoué à Christiane Charrette, en direct et non sans rougir. Il s’est toutefois défilé quand Charrette lui a demandé s’il avait dû renoncer à ses anciennes amours, lui qui, jadis, était souverainiste. Jacques Bouchard écrivait ceci dans Le Couac de novembre 2003 : " La Presse ne défend pas des idées, elle défend les politiques de Power Corporation. " Pour sa part, Quebecor Media, lorsqu’il a acheté la majeure partie des hebdomadaires régionaux de la Gaspésie, a soumis ces journaux à la culture " quebecorienne " : fin de la ligne éditoriale, prédominance des photos et courts textes très légers. Bref, c’était l’arrivée du sensationnalisme. D’autre part, Quebecor Media pratique un phénomène particulier et malsain : la convergence en vue d’une synergie parfaite. Le paroxysme de ce cataclysme médiatique est survenu au printemps dernier, à l’occasion de Star Académie. Citizen Karl l’avoue sans honte : " L’engouement créé par Star Académie est la preuve de notre capacité d’intégrer les diverses composantes du groupe en un tout cohérent. " Et il en rajoute : " Cette très grande production n’aurait pas été possible sans l’existence d’un groupe intégré comme Quebecor Media. " Voilà ce qu’est la synergie : unir toutes les parties de l’entreprise afin d’en faire un bloc uniforme et lucratif. Ensuite, il faut le multiplier par le nombre de filiales de l’entreprise et offrir encore plus de visibilité aux annonceurs et plus de profits aux actionnaires. Et ainsi accentuer la crétinisation du peuple québécois avec un contenu insignifiant et d’une vacuité sans borne. OPPOSITION DIFFICILE Bruno Dubuc, rédacteur en chef du Couac, un mensuel indépendant et très acéré faisant partie de Réseau Média, se bat de tout cœur contre ces conglomérats qui vendent de l’information comme ils vendent des assurances ou du papier. " Ils prennent toute la place, tout l’argent, s’indigne l’anarchiste avoué. Ils ont beaucoup de moyens, ils sont dans tous les dépanneurs, ils ont de la couleur et ils attirent les gens. Ils font aussi des lavages de cerveau! Ce qu’ils écrivent et disent n’est pas cohérent, ils ne vont pas jusqu’au bout de la vérité. Ils ne font pas les liens au complet. Ils font des mensonges par omission. C’est très grave. " Notons que tous les journalistes du Couac et toutes les personnes y travaillant ne sont pas rémunérés. Ils font du bénévolat. Ce n’est pas un cas unique : vu le manque de revenu et de visibilité, ils sont contraints de participer à cette activité bénévolement. C’est souvent pourquoi les journaux alternatifs ne survivent pas longtemps : oppressés par l’hégémonie de la presse commerciale, ils n’ont d’autres choix que de s’avouer vaincus. Mais Le Couac résiste. En novembre dernier, il a fêté son 6e anniversaire. Mais la ligne entre la mort du journal et publier un journal tous les mois est mince. " C’est un miracle chaque fois qu’on publie un journal, confie-t-il. Après la semaine de production, on est brûlé et on a pris du retard dans notre travail. Mais il faut aimer ça. " La force d’un réseau alternatif, en attendant que des lois servent dignement les intérêts de la démocratie, est primordiale. Ces conglomérats ne reculent devant rien. Sauf devant un boycott de la masse et devant la montée des mouvements contestataires appuyés activement par la masse. Voilà peut-être une partie de la solution. En terminant, nous dirons cette phrase de Sylvain Lelièvre aux magnats de la presse et à leurs amis : " Votre intérêt n'est pas le nôtre Et sachez bien que nous savons. "
Ecrit par journaliste, le Jeudi 7 Octobre 2004, 21:25 dans la rubrique "Convergence et concentration".
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Bonne note
Ecrit par Klerann le Vendredi 29 Octobre 2004, 01:55
C'est un très bon article, complet et bien documenté.
Mais ce qui m'agace le plus quand je lis ce genre de texte c'est de me dire que la plupart des gens ne sont pas au courant de tout ça. En fait, à chaque fois que je m'informe sur des sujets chauds de dissumulation ou manipulation de l'information, je reste toujours bête en me disant "c'est pas possible que le monde continue à tourner, pourquoi la majorité des gens ne réagit-elle pas?".
J'avoue que ce n'est peut-être pas constructif comme commentaire mais c'est mon coup de gueule à moi.
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